Mission to Africa.

Expédition saharienne au Niger, narrée par…le Piper Cub OO-HBC

Nov 1970 – Jan 1971

 

Au loin, sur l’horizon, un scintillement, un reflet brillant vers les 10, 11 h. Surprenant quand on survole le désert à 1000’. S’agit-il d’un véhicule, d’une personne en détresse ? L’avion leader, avec à son bord le major Robby de Bruin et le capitaine Willy Kother vire de 90° sur la gauche. Nous suivons en trail. J’ai à bord, le Lt Mich Mandl et exceptionnellement pour ce vol Chris, l’épouse du major. Nous nous dirigeons vers les éclats lumineux. Eh oui, il s’agit bien de véhicules à l’arrêt et de la réverbération du soleil sur l’un des pare-brises… Mais à leur grand étonnement les pilotes découvrent qu’il s’agit de notre propre équipe d’accompagnement sol, composée de deux Land Rover et d’un Unimog. Les véhicules nous ont quitté la veille afin de préparer une piste à mi-chemin entre Djanet (Sud algérien) et Bilma (Est du Niger) en vue d’effectuer notre ravitaillement carburant. Notre autonomie ne permet en effet pas de couvrir cette distance en un seul vol. Afin de gérer cette délicate manœuvre d’atterrissage en campagne, notre mécanicien avion, l’Adjudant Bosmans, (dit le Boss) accompagne les véhicules. Le Boss, en service à la 255 Cie Ord à Butzweilerhof, est une figure emblématique dans le monde de l’Aviation légère et bien au-delà…. Avec sa grande stature, son inséparable couvre-chef rouge et, pour la circonstance, sa veste de vol retournée orange, c’est bien le Boss que l’on voit s’agiter près des véhicules… Ils ont manifestement eu des problèmes vu qu’ils n’ont couvert qu’une centaine de km. Que s’est-il passé ? Nous le saurons dans quelques instants… après l’atterrissage !

 

Pour moi qui ne suis que rarement sorti de Belgique et de notre dixième province en RFA (République Fédérale d’Allemagne), participer à une telle expédition, c’est une aubaine et toute une aventure. Avant de partir, on m’a bichonné comme jamais par le passé. Je suis tout de blanc vêtu et j’arbore une grande bande bleue sur l’entièreté du fuselage, avec en petites lettres sous le canopy « Mission anthropologique belge au Niger ». Nouveau moteur, réservoir supplémentaire, poste HF… l’OO-HBC a fière allure. À part quelques problèmes de gyro et d’horizon, je fais l’affaire.

Avec mon collègue, l’ OO-HLT, nous participons à une expédition dont le but essentiel est de récolter des échantillons sanguins sur les populations touboues à la frontière du Tchad et du Niger. En marge de cette opération, les différents spécialistes qui accompagnent la mission, effectueront une étude clinique, épidémiologique et parasitologique des dites populations. Notre mission consistera entre autres à assurer les éventuelles évacuations d’urgence, fournir des informations à l’ethnologue (le professeur Fuchs de l’Université de Göttingen nous attend déjà à Bilma) et aux biologistes sous forme d’observations aériennes et d’aider si nécessaire aux repérages de ladite population touboue.

 

Un premier groupe a quitté la Belgique début novembre 1970. Il est composé d’un biologiste chef d’équipe (Yvo Vandereyden), d’un médecin, d’une infirmière, de deux écologistes du Musée de Tervuren et d’un chauffeur mécanicien. Ils empruntent la route ouest via Tamanrasset (Algérie) et Agadès (Niger) afin de récupérer du matériel prépositionné lors d’une mission précédente et de s’assurer que le carburant avion a bien, comme prévu, été acheminé au travers du désert Ténéré d’Agadès à Bilma.

Le deuxième groupe a quitté Liège en même temps que nous fin novembre et suit la route aérienne au départ d’Alger : Hassi-Messaoud, Djanet, Djado (Niger). La jonction des deux équipes s’effectuera à Bilma.

Personne ne manque à l’appel. Le parasitologue de Toulouse et le Docteur Huntsman de Londres ont rejoint le premier groupe respectivement à Marseille et à Tamanrasset.

Il aura fallu plus d’un an pour préparer cette expédition imaginée par le Dr Jean-Marie Wattiaux, spécialiste de génétique à la Faculté des Sciences à Namur. Malheureusement ce dernier a été victime d’un accident de voiture deux semaines avant le départ du premier groupe…Et c’est en quelque sorte le Major de Bruin qui assure le commandement de l’expédition.

 

Lourdement chargés de carburant, nous effectuons quelques passages à très basse altitude et faible vitesse en simulacre d’atterrissage. Le terrain est on ne peut plus dégagé. En fait, nos pilotes n’ont aucun point de repère pour juger de l’altitude. Nous nous posons le plus près possible des véhicules en espérant que le sol soit suffisamment dur à cet endroit pour ne pas nous enfoncer et capoter…L’atterrissage est loin d’être parfait, mais tout se déroule normalement.

Le récit de leurs déboires (pont arrière cassé sur une des Land Rover) nous laisse perplexe. La panne est réparable et ne les empêchera pas de repartir le lendemain. Quant à nous, rejoindre Bilma ? Ce sera tout juste. Mais en ce moment, nous réalisons l’extraordinaire chance qui nous a permis de retrouver notre convoi. Nous venons d’éviter le cauchemar de devoir nous poser à court de carburant, dans un désert qui subitement nous aurait paru drôlement hostile. Inoubliables cette soirée et cette nuit passées dans l’isolement total. Même le feu de bois fait partie du décor…Pour moi comme pour mon collègue, c’est une situation exceptionnelle. Nous pouvons enfin assister aux discussions animées d’après vol.  Que se serait-il passé si l’équipage de l’HLT n’avait pas été intrigué par les  miroitements solaires ? La panne sèche, l’atterrissage forcé… ? Et le Boss, qui s’est esquinté toute la matinée à nous appeler, ne comprend toujours pas pourquoi mon pilote n’a pas allumé le poste HF. Un Boss qui jure que l’on ne l’y reprendra plus à partager le sort de l’équipe sol….Ne l’a-t-on pas droppé le long de la piste avec un croûton de pain et une bouteille d’eau sous prétexte qu’avec ses connaissances en mécanique il serait plus utile dans la Land Rover qui commençait à donner quelques signes de fatigue…La Land Rover est passée, toute poussive, une heure plus tard….Heureux l’ami Boss !

 

Question émotions, le Boss avait pourtant déjà été servi. À commencer par le décollage à Bierset. Il faut dire que moi-même je me posais certaines questions après avoir senti comment mon équipage m’avait chargé …

Roger Fagnoul, spécialiste de vols exotiques (Afrique, Asie), était venu nous saluer avant le départ. N’avait-il pas prédit en voyant avec quelle difficulté l’arrière du fuselage était soulevé que nous ne décollerions jamais… Ce fut effectivement laborieux et fort éducatif…Il était évident qu’à la première occasion, nos allions devoir nous séparer d’une grande partie du chargement. Toutes les pistes ne font pas 7 à 8000’ !

 

Au départ à Bierset, le Boss a insisté pour que nous effectuions un premier atterrissage à Dijon après trois heures de vol afin qu’il puisse s’assurer de la bonne tenue des moteurs. Malheureusement Dijon n’étant pas douanier, nous sommes obligés 45 min plus tard d’atterrir sur le tout nouvel aéroport de Lyon-Satolas…

Pas de problème du côté des moteurs. Par contre en quittant la plate-forme du parking à Lyon, lors du passage d’une jointure de tarmac encore non goudronnée, je ressens un choc à la roulette de queue qui aurait dû alerter mon équipage…L’atterrissage en twilight à Valence (aérodrome de l’ALAT-Aviation légère), dernière étape du jour, se fait sur la piste en béton. Ce qui se veut être un touch down sur les roues avant se termine, vu la charge, par un trois points et… la rupture de ma lame de roulette de queue. Nous avons évité l’embardée, mais l’adrénaline a sérieusement monté dans le cockpit… Question dépannage, nous n’aurions pu mieux tomber… L’ALAT dispose encore de quelques pièces de rechange pour Piper Cub et dès le lendemain vers midi nous repartons, fraîchement chaussés… et surtout drôlement allégés… les bagages étant pris en charge par l’équipe sol qui nous a rejoint au cours de la nuit.

 

Valence-Gérone avec un passage frontière au Perthus dans des conditions météo on ne peut plus favorables. Un vent arrière, la tramontane, nous propulse au-dessus des Pyrénées. En fait nous sommes gâtés par un anticyclone qui couvre toute l’Europe. C’est l’été indien fin novembre… À Gérone pourtant, tout nouvel aéroport, le contrôle fait des difficultés parce qu’il n’y a pas 8 km de visibilité en route vers la prochaine destination Valencia…Il faudra à nouveau attendre midi avant de pouvoir décoller. Qu’à cela ne tienne, nous sommes on schedule…Petit incident après le décollage à Valencia, destination Oran…Le clips arrière de la cache moteur de l’HLT s’est ouvert. Passage « vent arrière », atterrissage début de piste, fermeture du clips par le Boss, moteurs tournants, et re-décollage avec un minimum d’explication à la tour. On devine la perplexité des contrôleurs…

La traversée de la Méditerranée s’effectue au départ de Carthagène. La mer est houleuse et le plafond des nuages nous oblige à descendre à 500’. Dans le cockpit cela ne cause pas beaucoup. Je sens que l’équipage est sous tension et aux aguets. Trente minutes qui paraissent bien longues. En fait, il n’y a pas de quoi s’inquiéter, car  selon le Boss, notre moteur tourne à la perfection. Enfin la terre et Oran droit devant nous. Excellente navigation. À nous l’Afrique… Nous déchantons rapidement, car l’accueil à l’aéroport d’Oran est on ne peut plus réservé.

Le surlendemain, à Alger, les relations avec les responsables sécurité de l’aérodrome se gâtent vraiment. Interdiction pour les équipages de rejoindre les avions sans billets délivrés par l’une ou l’autre compagnie… Discussions, palabres, intervention de l’Ambassade rien n’y fait. Or nous devons ce jour effectuer un vol de 5 h à destination d’Hassi-Messaoud. Avec un coucher de soleil peu avant 18 h, il nous faut à tout prix décoller avant 13 h. J’ignore quel stratagème fut utilisé pour convaincre les sbires aéroportuaires, mais il semble que l’apposition d’un autocollant d’Air Algérie sur mon fuselage a permis de débloquer la situation….à midi trente. Ce sera tout juste.

Après le passage de l’Atlas aux sommets enneigés… nous descendons sur la ville d’Hassi-Messaoud. Au loin, de longs filets noirs de fumée s’élèvent sur l’horizon. Plus la luminosité diminue, plus les « torchères » (filets d’évacuation des gaz brûlés d’une raffinerie) sont visibles. C’est une course contre la montre. Les cartes dont l’équipage dispose sont à l’échelle 1/1.000.000e et je sens qu’il y a une certaine hésitation au niveau de la navigation. Le contact radio est établi avec la tour. Bonne chose de faite…Les torchères sont de plus en plus proches, mais toujours pas de piste en vue. Il nous reste quelques minutes de clarté quand le contrôleur nous propose tout bonnement d’allumer le balisage pour faciliter notre approche….Quelques instants plus tard les roues glissent sur la piste illuminée d’Hassi-Messaoud. J’ai réussi mon premier atterrissage de nuit…Dans le cockpit, j’entends un « We did it » de soulagement…

Dans la nuit, l’équipe sol nous rejoint, après une traversée Marseilles-Tunis et quelques problèmes douaniers au passage frontière entre la Tunisie et l’Algérie. Elle se ravitaille en carburant, charge notre essence avion et repart avec une journée d’avance. Et nous, en route pour In Amenas, nous longeons la piste bitumée avec un sentiment non dissimulé de sécurité. Et après 5 h de vol sans histoire, c’est le touch down sur une belle piste goudronnée in the middle of nowhere

Nous repartons dès le lendemain pour Djanet. Pour ce faire, il nous faut survoler le Tassili-n-Ajjer, plateau gréseux dont l’altitude moyenne avoisine les 1 300 m. D’accès difficile, il supporte toute une série de petits massifs secondaires, fortement érodés au travers desquels on circule par d’étroits couloirs que surplombent des falaises et des champs d’imposantes colonnes. Quel spectacle !

À l’altitude où nous volons (7 à 800’ sol), nous devinons une piste peu carrossable, une tôle ondulée qui va faire souffrir les véhicules. À Fort Gardel (ancien fort français), nous obliquons vers l’est et longeons un escarpement rocheux de 5 à 700 m. Un spectacle grandiose, mis en valeur par l’éclairage d’un soleil qui glisse lentement sur l’horizon. Petit à petit, la chaîne du Tassili se désagrège et c’est dans un cafouillis de pierres et de terrils naturels que nous découvrons Djanet, la plus célèbre des oasis du sud algérien, la perle des palmeraies.

 

La piste en terre durcie de Djanet se trouve à une dizaine de km de la zone habitée qui se compose de trois villages autonomes d’environ 2 000 habitants. Pas de contact radio. Sauf pour les vols réguliers : une Caravelle d’Air Algérie par semaine…Le survol des deux Piper Cub n’est pas passé inaperçu et à notre atterrissage nous sommes accueillis par le responsable du terrain. Pour le ravitaillement carburant, on attendra l’arrivée des véhicules vu l’absence d’essence avion 100L.

Avec ses 30 000 palmiers et ses 200 points d’eau, Djanet est à n’en pas douter, le joyau du Tassili. C’est grâce aux nombreuses peintures rupestres découvertes par Henri Lhote en 1956 que Djanet a connu la notoriété. Celles-ci constituent de véritables archives qui permettent d’avoir une idée très nette du peuplement du Sahara et des différents types de populations qui s’y sont succédé. Ces gravures permettent de suivre l’évolution de la faune et l’évolution climatique qui a entraîné l’assèchement jusqu’à l’état désertique actuel.

 

Les Touaregs sédentarisés de Djanet sont de paisibles cultivateurs. Ils ne sont que quelques milliers au Tassili. Ils vivent essentiellement de la culture du blé, du mil, des tomates et bien sûr des dattes. Parfois une caravane venant du Soudan transforme pour quelques jours la vie de l’oasis. Notre passage à Djanet coïncide avec l’arrivée de l’une d’elle. C’est ensemble que pilotes et touaregs nomades rempliront les formalités d’arrivée. Coïncidence, trois jours plus tard, c’est ensemble qu’ils prendront congé des fonctionnaires algériens. Deux mondes se côtoient. Deux modes de civilisation se croisent l’espace de quelques heures…

La route de la caravane longe l’aérodrome. Ce qui frappe, c’est la lenteur de leur progression, le calme, la précision de leurs gestes. Des gestes que des générations de targuis se sont transmis. Assis sur leurs dromadaires, ceux-ci s’arrêtent un instant lorsqu’ils nous aperçoivent puis reprennent paisiblement la route vers le sud. 700 km de désert les attendent.

 

C’est cette même mer de sable que nous survolons après notre arrêt forcé à quelque 600 km de Bilma (Dirkou). Un désert (le grand erg Oriental) tel qu’on se l’est toujours imaginé, du sable avec de temps à autres de grandes dunes et cela à perte de vue…

 

Nous volons au cap 140, en formation line abreast (même hauteur latérale). Pour l’équipage, cela permet de s’observer du coin de l’œil sans vraiment devoir tourner la tête…Points de repère ? Néant. À Paris, lorsque les pilotes s’étaient procuré les cartes IGN, ils avaient d’ailleurs estimé que pour ce tronçon, cela ne valait pas la peine d’acheter un deuxième jeu de cartes…Un tracé à main levée sur une feuille A4 résume le trajet de 7 h de vol. Après 3 h, nous voyons comme annoncé poindre le pic Zumri. La visibilité excellente dépasse les 50 km… Nous sommes on track. Nous virons vers le sud et longeons un léger escarpement qui doit nous mener à l’aérodrome de Dirkou qui dispose d’une piste en dur Nord-Sud. Le spectacle est surprenant. Des lacs à demi asséchés se succèdent tout au long d’une fine falaise longée à l’ouest par une piste chamelière bien visible. Mais nos pilotes n’ont pas vraiment le temps d’apprécier car le carburant diminue. Nous approchons de notre réserve. Pour juger exactement du carburant disponible, mon pilote a vidé intentionnellement le réservoir de l’aile droite. Il nous reste du carburant pour une vingtaine de minutes lorsque la piste macadamisée de Dirkou (aérodrome construit quelques années auparavant par les Français) apparaît au loin. Spectacle étonnant que cet aérodrome sans la moindre infrastructure. Pas un taxi-track, pas un seul bâtiment.

À l’atterrissage, nous sommes accueillis par des militaires chargés de la surveillance des installations…car Dirkou est en fait un aérodrome militaire.

 

À Bilma, situé à quelques dizaines de km au sud de l’aérodrome, nos pilotes  retrouvent l’équipe du groupe I partie, comme déjà précisé, début novembre de Bruxelles. Retrouvailles chaleureuses, tempérées toutefois par le fait que le groupe vient à peine d’arriver 4 jours auparavant. Retard occasionné d’une part par des tracasseries administratives lors des divers passages de frontières (dues entre autres à la présence d’un Unimog militaire…) et d’autre part, par une traversée du Ténéré particulièrement laborieuse.

Yvo, le responsable du groupe, présente de plus depuis Tamanrasset un syndrome neurologique périphérique aigu. Son état restant plus ou moins stable, il a courageusement décidé de poursuivre la mission. Leur passage via Agadès fut pourtant loin d’être inutile. Constatant en effet que le carburant  avion n’avait pas été livré à Bilma, ils parvinrent grâce à la bienveillance d’un pilote de Noratlas de l’Armée de l’Air française à acheminer 4 touques d’essence de 200 l vers Dirkou. Nous devons à ce pilote une fière chandelle et une reconnaissance profonde.

 

Dans la soirée, le deuxième groupe arrive également à Bilma. L’équipe est au complet. Pas pour longtemps, car comme pour saluer l’événement, le vent se lève. Un vent qui devient de plus en plus violent et qui rappelle aux pilotes qu’ils ont abandonné leurs Pipets dans le désert sans aucune possibilité de protection ni même de véritable arrimage. En effet, les tire-fonds utilisés (sorte  de grand tire-bouchon que l’on enfonce dans le sable) me paraissent bien légers si le vent continue à souffler de la sorte. Les pilotes sautent dans une des Land Rover, direction aérodrome par une nuit noire que l’on ne rencontre que dans le désert. Pas de lune, un ciel voilé sans étoiles, on se croirait dans une chambre noire.

Je les entends. Ils ont manifestement quelques difficultés à nous retrouver… Ils suivent les traces laissées par les véhicules à notre arrivée, tournent en rond pour éclairer l’horizon sur 360 °… Ils sortent du véhicule et parcourent tous azimuts une centaine de mètres. J’aperçois le faisceau des lampes de poche. Nous sommes tout proches…mais pas moyen de nous retrouver…Heureusement, comme par enchantement, le vent se calme, et ce n’est qu’avec un demi-sentiment de culpabilité que nos cochers se résignent à rejoindre Bilma.

 

Le retard pris par le groupe I n’a pas permis à celui-ci d’effectuer les missions planifiées de repérage des populations touboues dans le Sud de Bilma. Dès le lendemain, nous effectuons un vol vers l’ancienne forteresse d’Agadem à la recherche des Toubous….Le terrain survolé est couvert de dunes quasi infranchissables. Nous arrivons dans les environs d’ Agadem après 30 minutes  et découvrons au sol, l’inscription de l’ancien aérodrome, mais pas de trace d’habitations ni d’une quelconque activité humaine. À notre retour, en accord avec l’ethnologue, la décision est prise de centrer les activités dans le Nord (Séguédine, Djado que nous avons déjà survolé) où, aux dires du sous-préfet de la région, un militaire très hospitalier, une importante population touboue s’est établie fuyant les zones de combat au Tchad.

 

Avant de remonter vers le Nord et de poursuivre les tâches ayant justifié leur présence dans cette région aux décors et paysages bibliques, nos crews s’accordent quelques instants de repos, le temps de visiter Bilma et ses environs.

 

Bilma, localité principale des hameaux qui longent l’écran bleuâtre des monts Kaouar, signifie « belle-eau ». Cette eau qui coule à profusion des puits artésiens, jaillit au milieu des dunes. Grâce à de minuscules petits canaux en terre, elle ruisselle et irrigue les potagers dans tout le village. Les principales ressources de Bilma sont toutefois les dattes et les salines. Le sel, c’est l’âme du désert. Les écrivains arabes relatent que Bilma et ses environs   fournissaient déjà du sel dès le 14e siècle. Ce sel traversera le Ténéré sous forme de  grand champignon appelé canton.

 

Les caravaniers touaregs amènent le mil et le troquent d’abord contre les dattes. Par la suite, ils s’approvisionnent en sel. Pour préparer le chargement d’une caravane, il faut plusieurs jours.

 

Les salines se trouvent dans une dépression où la nappe d’eau souterraine, riche en sel, n’est qu’à deux mètres de la surface du sol. De formes irrégulières, les mares salées sont séparées par des murets de terre. Deux fois par jour, pieds nus sur ces murets, des enfants et adolescents désagrègent, par aspersion d’eau, la fine pellicule de sel cristallisée à la surface de l’eau. Le sel se dissout puis recristallise en surface et ainsi de suite. Peu à peu, l’eau s’évapore, et le dépôt de sel augmente. Au bout de quinze jours, on dit qu’il est « mûr ». Après l’avoir pulvérisé et à nouveau humidifié, les Kanouris, principale peuplade de la région, en façonnent des pains dans de petits moules. C’est le sel de première qualité. Celui destiné au bétail est un mélange de sel gemme et d’un peu de limon. Cette mixture est alors versée dans de grands moules et en sort sous forme de cantons.

 

Pesant de 20 à 30 Kg, ceux-ci sont empaquetés avec précaution dans des nattes pour éviter l’émiettement. La piste est longue de Bilma à Agadès. Quotidiennement, vers 11 h, des caravanes quittent les salines. Chaque jour des hommes sans nom renouvellent cet exploit et aucun d’eux ne se retourne avant d’affronter le Ténéré.

 

Nous quittons donc Bilma pour nous rendre à Séguédine. Le Professeur Fuchs et le Boss font partie de l’advance party qui nous a quittés il y a deux jours. Le premier a pour mission d’établir les contacts avec la population touboue (depuis les nombreuses années qu’il les fréquente, il parle leur langue), le second, avec son expérience récente en la matière… de préparer la zone d’atterrissage.

 

Afin d’accélérer le déménagement et aider au transfert du matériel, plusieurs rotations Pipets et Unimog sont organisées.

À notre premier vol, nous découvrons que le Boss a délimité une zone d’atterrissage libre de tout obstacle. Il s’est positionné en début de piste avec une Land Rover et grâce à un fumigène on ne peut plus rouge, nous découvrons… qu’il n’y a presque pas de vent… En fait nous devons attendre que la fumée se dissipe pour pouvoir atterrir…

Nous nous sentons vraiment utiles. À plusieurs reprises nous longeons les monts Kaouar à quelques km à l’est de la piste pour arriver à Séguédine et prenons le temps de découvrir un spectacle insoupçonné à l’aller. Les lacs recouvrent en fait d’anciennes salines et tout au long de la falaise nous apercevons de petits hameaux. S’il s’agit des Toubous, la mission de récolte de sang en sera grandement facilitée.

 

Ces Toubous, c’est le moment d’en parler et d’expliquer pourquoi les scientifiques de tous bords s’intéressent à cette peuplade qui ne compte pas plus de 200 000 individus dans une région grande comme la France.

On considère généralement les Toubous comme l’une des plus vieilles ethnies africaines présentant des caractères de profonde originalité. Cela sous-entend une occupation du Sahara depuis de nombreuses générations, permettant une très longue sélection naturelle, d’où cette capacité remarquable d’adaptation à    l’environnement. Leur endurance et leur résistance à la faim, la soif et la chaleur leur confèrent un degré d’adaptation exceptionnel aux conditions désertiques. Ils s’alimentent très peu : le matin du thé, à midi quelques dattes, le soir du mil ou des dattes… De quoi donner des idées aux diététiciens… Quant à l’eau, chacun met son point d’honneur à n’emporter qu’une outre juste assez remplie pour atteindre le prochain point d’eau.

 

Les échantillons sanguins prélevés sur la population touboue, donneront grâce à l’étude des marqueurs génétiques de précieux renseignements sur les affinités de la race touboue avec d’autres ethnies africaines. Forment-ils vraiment, comme certains le prétendent, une entité isolée ?

L’analyse des prélèvements permettra également d’obtenir de plus amples renseignements sur la base héréditaire de cette adaptation aux conditions extrêmes et qui sait, de trouver certaines applications dans le domaine médical.

Ces échantillons sanguins permettront d’étudier également certains caractères biochimiques liés à la diététique. En effet, il est par exemple très intéressant de savoir si la pauvreté de la flore et de la faune qui impose aux Sahariens une alimentation peu variée, parfois carencée en vitamines et souvent déficiente en protéines affecte le taux de glucose dans le sang.

 

La récolte des échantillons nécessite par ailleurs une information aussi précise que possible sur les antécédents familiaux, le système de mariage, l’origine récente des groupes, les contacts avec les autres populations. Cette information fait l’objet de l’enquête ethnographique. Quant à l’enquête sanitaire elle a, entre autres, pour but de détecter les carences alimentaires et les maladies contagieuses.

 

Mais comme la vie nomade est étroitement liée aux impératifs climatiques, à la distribution de la végétation et à celle des points d’eau, il était indispensable pour dresser un tableau complet de tous les aspects environnementaux d’associer également à la mission, des spécialistes de la flore et de la faune et d’effectuer une étude biotope en vue du dépistage des parasitoses. C’est la mission de nos deux écologistes de Tervuren.

 

L’accueil à Séguédine est extrêmement cordial. Il dépasse toutes les prévisions. En quelques heures les Toubous ont érigé de grandes huttes pouvant servir de dispensaire. Ils comprennent non seulement qu’il est souhaitable de se faire examiner et le cas échéant se faire soigner, mais il se chargent eux-mêmes de rassembler les nomades des campements environnants. Le discours que leur a tenu le Professeur Fuchs est apparemment fort convaincant car dès le matin de bonne heure, hommes, femmes et enfants font la file et se prêtent avec une facilité déconcertante et une extrême gentillesse à la prise de sang.

 

Comme les avions sont tout proches du campement, nous assistons avec grand étonnement à ce rassemblement fort coloré de toutes les couches de la population touboue. Il en vient de partout. Ils ont rapidement compris que les membres de l’expédition sont intéressés par l’acquisition de l’un ou l’autre souvenir et la matinée le campement se transforme, à leur grande joie et leur grand intérêt, (les membres de l’expédition ne disposent que de billets…) en brocante touboue.

 

Comment l’opération de récolte de sang est-elle organisée ?

Le professeur Fuchs s’entretient d’abord avec le Toubou, afin de s’assurer de ses origines et rassembler un maximum d’informations à son propos (âge, liens familiaux, etc.). Le Dr Oosterbosch et le Dr Magnaval de Toulouse passent les examens cliniques et confient ensuite le Toubou à notre infirmière, Marie-Rose. Elle est en charge de la prise de sang. Un peu hésitante au début, elle deviendra rapidement experte en la matière…

Yvo Vandereyden, malgré son handicap physique et le Professeur Huntsman se chargent des manipulations devant permettre la conservation des échantillons sanguins. Une des méthodes consiste à enlever le plasma à l’aide d’une centrifugeuse et à congeler les éprouvettes. La méthode du Dr Huntsman consiste à prélever sur plaquette de verre un échantillonnage du sang récolté.

En guise de remerciement, les Toubous reçoivent des couvertures, des vêtements, des biscuits militaires… et, en fin de parcours, je vois mon pilote qui les prend en photo et leur offre un bien beau souvenir sous forme d’un  instantané polaroïd…

 

Pour clôturer l’opération « Séguédine », nous effectuons un vol local avec le chef coutumier. Son proche adjoint veut également prendre place dans l’avion… Mon pilote a toutes les peines du monde pour l’en dissuader. À chaque passage de son chef, l’adjoint se prosterne…C’est une scène hautement cocasse qu’Yvo Vandereyden s’empresse de photographier.

 

Autre vol que j’ai le plaisir d’effectuer, une reconnaissance dans la région de Djado, prochaine étape de l’expédition. À bord, Yvo qui emporte plusieurs appareils photos (noir et blanc, couleur…). La navigation se déroule sans problème. Je sens toutefois que mon pilote est quelque peu tendu. À tout hasard, une copie de la route suivie dans le dédale des monts Kaouar a été remise à l’autre équipage resté au sol… On ne sait jamais.

Et puis, subitement, c’est le coup d’adrénaline ! Mon pilote est lui-même en train de filmer (caméra super 8), avion bien trimé…quand le moteur se met brusquement au ralenti. Le nez pique. Le temps de reprendre les commandes et surtout de réaliser que la manette des gaz a été coupée… nous n’avons perdu que quelques pieds. Que s’est-il passé ? L’une des courroies d’un des appareils photo d’Yvo  s’est accrochée à la manette et par inadvertance il a coupé les gaz…Dans le cockpit c’est l’hilarité ! Quelques instants plus tard, nous nous posons sans problème pour la dernière fois à Séguédine tandis que mon collègue l’HLT, s’envole à destination de Dirkou pour y amener le Dr Huntsman et son thermos d’échantillons…Il rentre à Londres via Agadès en Noratlas.

 

Djado constitue donc l’étape suivante de notre remontée vers le Nord. Pour faciliter les contacts avec la population, le chef de village de Séguédine  accompagne l’équipe au sol. Peu habitué à circuler dans un véhicule, il sera malade tout au long du trajet.

 

L’accueil des Toubous de Djado est tout aussi chaleureux qu’à Séguédine et le schéma de travail qui a déjà fait ses preuves, est à nouveau adopté.

L’endroit d’atterrissage et le campement sont proches de l’ancien fort français de Chirfa. L’ambiance de travail est excellente et au bout de quelques jours, le nombre d’échantillons jugé nécessaire au départ de la mission est dépassé. 180 échantillons sont ainsi récoltés. Il reste à les ramener en Belgique.

 

Pour y arriver, l’équipe sol devra encore vaincre pas mal d’obstacles. En effet, les échantillons sont conservés dans deux grands congélateurs alimentés par un groupe électrogène. Comme ce dernier doit tourner jour et nuit… il commence à montrer des signes de fatigue. Les bougies s’encrassent. Les filets d’ancrage des bougies s’usent… Il est temps de rentrer…

 

Pour nous aussi, la mission se termine.

Guy Waeghenaere, notre para, effectuera un saut en chute libre, question de démontrer qu’en cas d’urgence, différents modes d’action auraient pu être utilisés…

Et nous voilà reparti sur Djanet, cette fois non-stop.

À Hassi-Messaoud, nous décidons d’attendre 24 h car pour la première fois depuis notre départ la météo ne nous sourit pas : vent de sable avec visibilité plus que réduite. J’approuve cette décision car je ne suis pas fait pour voler dans de tels éléments. Lors de l’inspection avant-vol, le Boss est encore plus attentif que d’habitude. Du sable dans un moteur, il n’aime pas cela.

Nous traversons l’Espagne, sans problème jusqu’au passage frontière. C’est à croire que la tramontane n’a cessé de souffler depuis notre passage à l’aller. Cette fois, vent de face. Notre arrivée à Perpignan est annoncée en vue de l’aérodrome au passage du Perthus… Dix minutes se passent. Nouvel appel au contrôle, nous sommes toujours au même endroit… Monter en altitude, descendre dans la vallée, rien ne semble améliorer cette situation on ne peut plus cocasse… Pour finir, c’est la dernière solution qui nous permet de rejoindre la destination…

Le lendemain, réajustement des plans et du plan de vol. Épais brouillard à Perpignan et dans toute la vallée du Rhône. Par contre, à l’ouest la météo est meilleure.

Décollage en formation jusqu’au dessus de la couche vers les 3000’ et attendre que les éclaircies annoncées apparaissent. C’est le cas, et nous nous posons sans problème sur le sympathique aéroport de la Chambre de Commerce de Poitiers.

Poitiers-Liège et Liège-Cologne, le lendemain.

Je ne m’attendais pas à un grand comité d’accueil à l’aérodrome de Butzweilerhof (notre home base), mais ce qui m’arriva lorsque les deux appareils furent parqués m’a quand même sidéré.

Le moteur est à peine coupé qu’un jeune membre du Club, que je ne connais d’ailleurs pas, se dirige vers nous et sans même se présenter à mon pilote, lui demande s’il reste assez de carburant parce qu’il « doit » faire un baptême…

10’ plus tard, je reprends les airs pour un tour de Cologne et environs…

Pas de dernière photo… Pas même le temps de se dire adieu.

Mais des souvenirs plein le « cockpit »… souvenirs que 35 ans plus tard j’ai pris beaucoup de plaisir à raviver…

 

Signé : OO-HBC