SOUS TERRE – Rodolfo FOGWILL

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 ★★★★½ 

Denoël

Fin mai début juin 1982, aux îles Malouines et leur banlieue (îles Sandwich notamment) se déroule entre l’Argentine du général Galtieri et le Royaume-Uni de la délicate Margaret Thatcher une de ces guerres aussi improbables que crétines pour la souveraineté sur trois quatre bouts de cailloux perdus dans l’Atlantique sud. Question de fierté nationaliste pour certains, de vues électoralistes pour d’autres, quoiqu’il en soit, personne ne veut lâcher l’os à moelle, ces deux pays donnant alors au monde la vision pathétique, comme le rappelait Borges, de « deux chauves se battant pour un peigne ».

Au milieu des belligérants, quelques appelés argentins, n’ayant pas plus envie de mourir pour ces îlots que de se casser une jambe, décident de se terrer en attendant qu’inévitablement la junte, à défaut de battre sa coulpe, rentre à Buenos Aires avec son armée sous le bras.

Une vingtaine de « tatous », comme ils se surnomment (le titre original du roman est « Les tatous, visions d’une bataille souterraine »), avec le poêle, les stocks de cigarettes, de piles pour les torches, le maté et les bouteilles de Tres Plumas, s’organisent au quotidien pour, petit un, éviter de se faire repérer, petit deux, se ravitailler auprès des Britanniques, petit trois, ne pas crever de froid ni de peur.

Où l’on accompagne, à l’approche glaciale et boueuse de l’hiver austral, Pipo, Quiquito, le Turc, Viterbo et tous ces gamins d’une toute petite vingtaine d’années,  qui n’aspirent qu’à vivre un jour ou mille ans de plus et qui n’en ont strictement rien à foutre ni de la Reine d’Angleterre, ni des gradés et de leur sale manie à vouloir faire crever les autres pour des bouts de terrain perdus où broutent trois moutons. Ils réinventent le monde, le reproduisent, l’assument ou le conchient. Hallucinations de nonnes dans la tourbe, rêve érotiques et éveillés avec les brebis de l’étage au-dessus, et, dans l’attente, aussi différents soient ces « tatous », ils paniquent tous. Car c’est la guerre. Et celle-ci durera plus de deux mois et fera plus de neuf cents morts.

Un roman aussi drôle qu’angoissant écrit en six semaines par Rodolpho Fogwill dès juin 1982 alors que le conflit n’était même pas officiellement terminé. Une merveille universaliste, intemporelle, niché quelque part dans un no man’s land narratif rappelant à la fois « La maison dans laquelle » de Mariam Petrosyan ou « La ligne rouge » de Terrence Malick.

Christophe
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