LE ROYAUME – Emmanuel CARRERE

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 ★★★★☆ 

P.O.L.

Dans le film « L’adversaire », l’adaptation de Nicole Garcia du livre éponyme d’Emmanuel Carrère, il y a en fond sonore d’une scène très difficile – celle où Jean-Claude Romand tue ses enfants – une émission de télévision pour les enfants : Père Castor. Si mes souvenirs sont bons, Père Castor est un personnage prétexte de grand-père qui raconte et donc introduit l’histoire proprement dite. Une mise en perspective censée donner confiance et crédibilité au conte animé : c’est Père Castor qui raconte. Alors on écoute.

Vous savez quoi ? Pour moi, Emmanuel Carrère, c’est Père Castor.

Depuis « L’adversaire », justement, cet auteur indispensable use systématiquement du même procédé : parler de lui pour mieux parler des autres. « Un roman russe », « D’autres vies que la mienne », « Limonov », autant de livres absolument formidables et captivants, échafaudés de la même manière : « Père Castor, raconte-nous une histoire ». Un style extraordinaire, d’un classicisme sidérant, sujet-verbe-complément, mais chaud, comme la voix de Père Castor ; Carrère n’écrit pas, il vient nous raconter une histoire.

Et cette fois, pas de tueur psychopathe schizo père de famille, pas de rebelle russe rouge-brun nihiliste, pas de tsunami, pas de prisonnier hongrois oublié à Kotelnitch. Mais Luc, Paul, Jésus, les apôtres et les Évangiles.

Peste.

Oui, Emmanuel Carrère a eu la foi. Elle lui est tombée dessus en 1990, lui a collé aux tripes pendant trois ans comme on a du mal à se remettre d’un mauvais virus équatorial et mal connu des médecins de nos banlieues. Puis c’est passé. Il nous explique tout ça très bien dans la première partie du livre. Mais il n’est pas du genre à jeter le bébé avec l’eau du bain. Une fois sa « crise » (comme il la nomme lui-même) terminée, il reste les questions : comment un agitateur galiléen et sa bande d’apôtres il y a deux mille ans de cela, ont pu, non seulement tourner en bourrique les autorités romaines et leurs frères-ennemis juifs de l’époque, mais faire croitre leur petite entreprise jusqu’à encore nous convaincre, beaucoup d’entre nous, – deux mille ans après !! –, nous qui avons toute notre tête, qui raisonnons, qui sommes réfléchis et incapables d’avaler les couleuvres du quotidien, à des éléments aussi essentiels de la religion chrétienne : l’eucharistie ou encore la résurrection.

Et c’est parti pour 650 pages : Luc, auquel l’auteur se compare souvent, Paul le juif défroqué, pour le coup « plus royaliste que le Roi », et toute l’histoire, ou plutôt l’Histoire avec un grand H, des premiers temps du Christianisme. Car Carrère se pose bien en historien. Avec toute l’honnêteté et l’intelligence qu’on lui connaît. Avec ses doutes, ses incertitudes. Et ses désormais célèbres mises en perspective à la Père Castor. Tantôt marrantes, qui prêtent à sourire, tantôt vertigineuses, effroyables.

Car n’oublions jamais qu’Emmanuel Carrère a été un homme profondément malheureux (lisez « Un roman russe »). Et que chacun de ses livres est le témoignage d’un convalescent. Et je serais tenté de dire que cette « crise » de foi en est une illustration parfaite.

Passionnant, érudit, terrifiant, drôle, un poil longuet aussi il faut le dire sur les cent dernières pages, « Le Royaume » est la bible des lecteurs curieux. Athées, croyants, agnostiques, peu importe. Pas de place au prosélytisme ici.

Christophe
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