BOUSSOLE – Mathias ENARD

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 ★★★½☆ 

Actes Sud

Nous passons la nuit avec Franz Ritter, musicologue viennois (en Autriche, pas la sous-préfecture du 38). Une nuit d’insomnie, où l’universitaire va examiner, en vrac et comme ça vient, sa passion pour l’Orient, l’orientalisme et tous ses grands noms qui ont forgé l’abstraction vivace et collante de ces régions drainant des images d’Epinal (préfecture du 88) aussi tenaces qu’érotisme, liberté, colonialisme, mythes antiques, minarets et mélopée du muezzin de Sainte-Sophie sur le Bosphore. Des sites fabuleux qui ont pour nom Istanbul, Damas, Beyrouth, Alep, Téhéran, Palmyre. Une région du globe aujourd’hui métastasée par l’immense dégueulasserie des fous. Se pose au fil des pages la question de l’altérité : sommes-nous si différents ? Quelles ont été les influences réciproques qui ont perméabilisé toutes nos cultures, occidentales et orientales ? Ces deux derniers adjectifs ont-ils réellement un sens ailleurs que dans les a priori ou les fantasmes ?

Franz Ritter est un savant d’aujourd’hui. Il connaît son catéchisme. Il est d’une érudition a priori sans limites, de celles qui abasourdissent et interloquent, pas de celles qui barbent. Aussi, tout au long de la nuit, c’est le lecteur qu’il va faire voyager chez ces grands noms : Mahler, Delacroix, Balzac et tant d’autres. Alors, bien sûr, on se sent tout petit et plus d’une fois un peu largué par cette suite à peine croyable d’anecdotes fabuleuses, opiacées, violentes ou torrides, anciennes, antiques ou même contemporaines.

Vous allez me dire : bon, 400 pages pour aider le garçon à trouver le sommeil à coup de soutenance de thèse, c’est pas maigre. Admettons. Mais le ver se cache dans le fruit. Croyez-vous vraiment que l’intention de Mathias Enard (et de son narrateur) ne relève que d’un habile et docte prêchi-prêcha ? Non, non. Car le Franz, au fond de sa couette et de sa longue nuit, ne pense finalement qu’à une seule et simple chose : l’amour platonique et semble-t-il univoque pour Sarah, la belle parisienne, aussi tarée que lui sur bien des choses, mais, comme c’est souvent le cas dans nos relations sexuées, beaucoup plus fine et plus adulte.

Mathias Enard excelle clairement dans ce roman qui traite des trois enjeux fondamentaux qui font l’essence même de nos vies de primates : être curieux, tomber follement amoureux (pléonasme) et gérer tout le bazar. Si certains passages ont insidieusement échappé à ma concentration, ce n’était que pour très rapidement me happer à nouveau, me ferrer, bluffé par tant d’intelligence.

Ah, un dernier conseil : si vous n’avez pas lu cette critique un peu bavarde jusqu’au bout, ne vous attaquez pas au livre.

Christophe
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