L’IMPOSTEUR – Javier CERCAS

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 ★★★★½ 

Actes sud

Mai 2005, un scandale éclate en Espagne : un historien révèle qu’Enric Marco, qui, depuis plusieurs années, se présente comme ancien déporté au camp de concentration nazi de Flossenbürg en Allemagne, qui a multiplié les témoignages et interventions à ce propos, qui fut président de l’Amicale de Mauthausen regroupant des survivants espagnols des camp, cet homme qui fut une parole de référence, n’était en fait qu’un imposteur.

Depuis cette révélation, tout semble avoir été craché sur le sujet et sur la personne d’Enric Marco : des discours alternant haine, dégoût ou incompréhension légitime. Rarement de la compréhension, vous vous en doutez bien. Vers 2009/2010, Javier Cercas se dit qu’il tient peut-être le sujet d’un nouveau roman. Il tâtonne, hésite, se méfie du sujet comme de lui-même, de sa démarche : qu’a-t-il à écrire de plus qui n’ait déjà été révélé ou commenté ? Quelles sont ses intentions ? Ne va-t-il pas plus remuer des souvenirs difficiles pour tous ? Ou tirer sur une ambulance ? Quel intérêt à tout cela ?

Il finit par rencontrer Enric Marco. Ce dernier accepte l’idée du livre. Cercas l’avertit : il ne l’épargnera pas, mais l’objectif est le suivant : le comprendre (ce qui peut s’entendre différemment).

« L’imposteur » se dévoile comme une enquête passionnante où l’on progresse en même temps que l’auteur sur la découverte de la personne d’Enric Marco. Ce « narcissique » a poussé l’art de la réécriture de sa vie à un stade qui frôle le génie et génère du coup une certaine admiration très ambiguë et dérangeante. Javier Cercas ne construit et ne développe pas un argumentaire très riche autour de la psychologie, l’histoire, la mémoire, le kitch et l’honnêteté du seul Marco mais bien de tout un pays : l’Espagne. Ce pays qui, s’il s’est levé contre les nationalistes et pour la révolution en 1936, a également « accepté » le franquisme jusqu’à sa belle mort en 1975 ; un pays qui n’a que peu souffert de la déportation et des camps nazis (et donc ne s’y est intéressé que très tard) ; un pays et ses habitants qui, comme souvent après la Second Guerre Mondiale et dans beaucoup d’endroits (suivez mon regard), se sont aussi reconstruit une histoire, une image, une légende dorée.

Javier Cercas ne s’oublie pas lui-même. Jusqu’à un dialogue mythique, et pour le coup totalement inventé mais stupéfiant de vérité – tiens donc ! – entre lui et Marco, où ce dernier lui rappelle combien sa volonté d’écrire un « roman réel » et de fustiger « la mémoire historique » est un tantinet gonflée au regard de ce qu’il est lui, comme personne, et ce qu’il a déjà écrit comme écrivain (référence faite notamment à son premier roman : « Les soldats de Salamine ».)

« L’imposteur » est un livre absolument formidable, complexe et, comme je l’ai déjà dit : passionnant. À la hauteur d’un « Limonov » ou « L’adversaire » d’Emmanuel Carrère, que Javier Cercas mentionne d’ailleurs.

Christophe
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